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LES ATOMES PRIENT-ILS ? SCIENCE ET CROYANCE

19 Novembre 2021 , Rédigé par Jechaiaou Perlenrel

Bonjour
Voici un papier que j'ai écrit et qui me tient beaucoup à cœur, car il résume un certain nombre de réflexions sur ma perception  des rapports entre la science et la croyance pour un juif, qui me préoccupent depuis pas mal d'années. 
Je sais que c'est un article long et sans doute difficile à lire et à comprendre, mais je l'ai écrit pour mes enfants et mes petits-enfants qui j'espère prendront le temps de s'y arrêter afin de mieux connaître mes positions sur cette question qui à mes yeux est centrale aujourd'hui. .
Vous pouvez bien sûr me faire part de vos réactions, remarques, critiques ou compléments.

LES ATOMES PRIENT-ILS ?

SCIENCE ET CROYANCE

 

À première vue, nous pourrions être tentés de croire que l’Univers par sa complexité et son dessein intelligent, serait l’œuvre d’un Être Suprême doté d’une intelligence et d’une force infinie. Mais ce Dieu comme nous l’appelons, ne serait-il pas en fait rien d’autre qu’une invention de l’Homme pour donner un sens et un but à la vie ? En effet pour rendre compte des découvertes scientifiques, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un Dieu créateur à l’origine de toutes choses. «  Dieu je n’ai pas besoin de cette hypothèse ! » avait déjà affirmé Laplace à Napoléon.  D’ailleurs les  théories scientifiques fonctionnent sans faire appel à une cause externe, en l’occurrence “Dieu”. Et pour les scientifiques évolutionnistes, l’Univers, avec tout ce qu’il contient, ne serait rien de plus que le produit du hasard, merveilleusement organisé par sélection naturelle et par processus évolutif.

 

Scientifique, physicien et juif religieux, je voudrais distinguer ce qui est du domaine de la science de ce qui est du domaine de la foi et soulever un certain nombre de questions que je me pose depuis des années :

Comment pouvons-nous aimer, créer, penser, croire ou prier … alors que notre cerveau, simple arrangement atomique, est le fruit des lois déterministes de la physique ? Comment la révolution cognitive commencée il y a 70 milliers d’années a-t-elle permis à l’Homo  sapiens d’évoluer jusqu’à l’épanouissement de  l’esprit humain dans sa diversité actuelle y compris sa diversité religieuse? Comment l’esprit humain a-t-il pu se développer,  alors que le principe thermodynamique fondamental de l’entropie devrait tout précipiter vers le chaos et le désordre ? Comment a t-il pu se créer cette structure si complexe et si méticuleusement réglée qu’est  l’homme moderne, être éminemment social doté du langage et de la pensée ? Comment l’esprit humain en est-il venu à croire  en des choses qui n’existent pas : légendes, mythes, religions, et peut-être même Dieu ?

Mais qu’est-ce que LA CROYANCE ?

La science et la croyance doivent-elles obligatoirement s’affronter ? Sont-elles antagonistes ou complémentaires? La science peut-elle s’accommoder de la croyance ? Et les doctrines religieuses et en particulier le judaïsme, peuvent-elles  aujourd’hui s’accorder avec la réalité scientifique ?

Enfin que peut apporter une bonne part de dimension religieuse dans nos vies, pour nous et pour nos descendants ?

 

Comment MOI, qui ne suis qu’une juxtaposition d’atomes en interaction, (poussière de cendres comme on dit dans le judaïsme,) j’en arrive à me concentrer dans mes pensées, à m’exalter, à m’introspecter, à dialoguer avec un Dieu que mes sens ne perçoivent pas et qui est doté d’attributs incroyables : éternité, omnipotence, omniscience… Comment en est-on arrivé là ? Les atomes prient-ils ? Comment pouvons-nous aimer, créer, penser, croire ou prier …     alors que notre cerveau est le fruit des lois déterministes de la physique ?

C’est une question scientifique et pour la comprendre, il nous faut retracer l’histoire du monde ! C’est l’objet de la science de nous raconter le réel.

Il y a environ 13,5 milliards d’années, la matière, l’énergie, le temps et l’espace apparaissaient à l’occasion du big bang. L’histoire de ces aspects fondamentaux de notre univers est ce qu’on appelle la physique. Environ 300 000 ans après leur apparition, la matière et l’énergie commencèrent à se fondre en structures complexes, appelées atomes, lesquels se combinèrent ensuite en molécules. L’histoire des atomes, des molécules et de leurs interactions est ce qu’on appelle la chimie. Voici près de 3,8 milliards d’années, sur la planète Terre, certaines molécules s’associèrent en structures particulièrement grandes et compliquées : les organismes. L’histoire des organismes est ce qu’on appelle la biologie.

 

Jusqu’ici on est dans le domaine des sciences pures, et si on analyse notre cerveau, et même son fonctionnement, y compris avec les moyens les plus modernes, tout peut être décrit à partir des lois de la physique, de la chimie et de la biologie. Ces lois peuvent être dites déterministes en ce qu’elles obéissent à la méthode hypothético-déductive : hypothèse, raisonnement déductif, conclusion indiscutable.   La marge de liberté de ces structures, au moins à l’échelle individuelle est très réduite.  Dans le cerveau, on ne trouve aucun représentant de la conscience ou du libre arbitre et encore moins de l’âme ou de la foi.

La mécanique quantique nous permet d’élargir notre horizon, et de voir une autre réalité scientifique que celle du comportement des atomes individuels. J’en veux pour exemple ce que l’on appelle la dualité onde-corpuscule.  La dualité onde-corpuscule est un principe selon lequel tous les objets physiques peuvent présenter parfois des propriétés d'ondes et parfois des propriétés de corpuscules. La dualité onde-corpuscule vient du fait que les analogies classiques de l'onde (associée à une vague sur l'eau) et du corpuscule (associé à une bille) sont incompatibles : intuitivement et ontologiquement, elles ne peuvent caractériser un même objet. Le cas d'école est celui de la lumière, qui présente deux aspects complémentaires selon les conditions d'expérience : elle apparaît soit ondulatoire, d’où le concept de longueur d’onde, soit corpusculaire, d'où le concept de photons. Cette dualité démontre en réalité l'incomplétude  de chacune des conceptions classiques de « corpuscules » ou d'« ondes » pour décrire le comportement des objets quantiques. Les théories scientifiques modernes accordent à tous les objets une double nature d'onde et de corpuscule, bien que ce phénomène ne soit vraiment perceptible qu'à l'échelle microscopique des systèmes quantiques.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/64/Dualite.jpg/220px-Dualite.jpg  La métaphore du cylindre est l'exemple d'un objet ayant des propriétés apparemment inconciliables. Il serait à première vue déroutant d'affirmer qu'un objet ait à la fois les propriétés d'un disque et d'un rectangle : sur un plan, un objet est soit un disque, soit un rectangle. Mais si l'on considère un cylindre : une projection suivant l'axe du cylindre donne un disque, et une projection perpendiculairement à cet axe donne un rectangle. De la même manière, « onde » et « corpuscule » sont des manières de voir les choses et non les choses elles-mêmes. D’une manière générale on peut dire que les objets physiques à l’échelle atomique se comportent plutôt comme des corpuscules, alors que si on les considère à notre échelle où  des milliards d’atomes se manifestent en même temps, ils se comportent collectivement et statistiquement selon la théorie ondulatoire. Par analogie, en ce qui concerne les sciences humaines, on sait que le comportement de l’homme en tant qu’individu, objet de la psychologie, est très diffèrent du comportement des hommes en société, objet de la sociologie.

Le tout n’est donc pas la somme des propriétés des unités qui le composent mais une entité à part entière ayant ses propres caractéristiques.

Voilà une première réponse à notre question : l’homme en tant qu’arrangement complexe de milliards de structures atomiques obéit à d’autres lois que celles des atomes qui le composent, et peut acquérir des facultés spirituelles lui permettant d’aimer, de créer, de penser,  de croire et de prier.

 

Notre univers dans sa globalité évolue vers le chaos et le désordre.  Il est en physique un principe fondamental, énoncé pour la première fois par Sadi Carnot en 1824 et jamais remis en question (jusqu’à aujourd’hui !) appelé deuxième principe de la thermodynamique. Ce deuxième principe s’énonce ainsi : « Toute transformation d'un système thermodynamique s'effectue avec augmentation de l'entropie globale ». Il introduit en plus de l'énergie d'un système physique une autre grandeur caractérisant le système et qu'on nomme entropie qui est en  fait la mesure du désordre des atomes ou molécules de la matière et qui ne peut pas diminuer. Ce qui veut dire en termes simples que tout système physique, y compris les êtres vivants, tend spontanément à se désorganiser. D’où notre question : Comment, alors que le principe thermodynamique fondamental de l’entropie devrait tout précipiter vers le chaos et le désordre, a-t-il pu se créer cette structure si complexe et si méticuleusement ordonnée qu’est  l’homme moderne ?

La science nous explique cela par « la danse à deux temps de l’entropie ». Elle concerne tout processus au cours duquel la diminution de l’entropie d’un système, par exemple la création d’une structure complexe ordonnée, (l’homme par exemple) est plus que compensée par l’accroissement d’entropie qu’il provoque dans son environnement. Ces deux temps assurent que, même si l’entropie décroît en un endroit, elle augmentera par ailleurs en un autre, de sorte qu’au total, nous observerons toujours l’accroissement d’entropie attendu en vertu du second principe. Mais il existe bien sûr des sous-systèmes où l’entropie baisse, où l’ordre augmente, (peut-être est-ce le but de certaines actions de l’homme ?) où les choses s’organisent. La danse à deux temps de l’entropie est cruciale pour comprendre comment un univers entraîné vers un désordre toujours plus grand est néanmoins capable de produire et d’entretenir des structures localement ordonnées. C’est cette danse de l’entropie qui va chorégraphier l’ascension de la vie, de l’esprit et de presque tout ce à quoi l’esprit accorde de l’importance.

Par exemple ce principe va nous permettre de comprendre comment un système macroscopique à notre échelle peut acquérir des propriétés que n’avaient pas ses constituants microscopiques. Je veux parler de ce qu’on appelle la flèche du temps. L’écoulement permanent du temps, que l’on constate à notre échelle et qui a tant inspiré poètes et philosophes est-il une fatalité ? Et d’abord le temps s’écoule-t-il toujours dans la même direction ? Peut-on toujours reconnaître le début et la fin d’un évènement ? Serait-il possible de les inverser ? Est-il envisageable qu’un œuf cassé se reconstitue spontanément ?

Et bien à l’échelle atomique, l’une des propriétés des équations qui régissent le comportement des particules élémentaires est l'invariance par renversement du temps. La physique et la chimie à l'échelle atomique sont donc réversibles : rien n'y serait changé si l'on échangeait passé et futur. Autrement dit, si l’on filme un évènement microscopique et que l’on passe le film à l’envers, en inversant le sens chronologique, aucun spectateur, même un grand physicien, ne pourra s’en rendre compte.

Mais à notre échelle, d’après le deuxième principe de la thermodynnamique, puisque l’entropie ne peut qu’augmenter, il suffit de mesurer le niveau d'entropie d'un système fermé à deux instants différents pour savoir lequel précède l'autre. Si cette mesure est répétée à chaque instant, il apparaît une suite infinie d'états orientés dans une seule direction, c'est ce qui créé le sens du temps. En fait donc l’irréversibilité du temps n’est qu’une réalité statistique propre aux systèmes contenant un grand nombre de particules. Encore une fois   le tout n’est pas la somme des propriétés des unités qui le composent mais est une entité à part entière ayant ses propres caractéristiques.

 

Reprenons l’histoire du monde : Voici près de 70 000 ans intervient la révolution cognitive : des organismes appartenant à l’espèce Homo sapiens commencèrent à former des structures encore plus élaborées : les cultures. Le développement ultérieur de ces cultures humaines est ce qu’on appelle l’histoire. La Révolution cognitive donna le coup d’envoi à l’histoire voici quelque 70 000 ans. Comment ?

Le casse-tête consiste à expliquer les origines de l’abondance d’espèces qui habitent la Terre. La solution de Darwin, promoteur de la théorie de l’évolution, se résume à deux idées liées entre elles. Premièrement, lorsque les organismes se reproduisent, la progéniture est en général semblable aux parents, mais pas identique. Ou, comme l’exprimait Darwin, la reproduction produit une descendance avec modification. Deuxièmement, dans un monde où les ressources sont finies, il y a compétition pour survivre. Les modifications qui augmentent les chances de succès dans cette compétition augmentent aussi la probabilité que leur porteur survive assez longtemps pour se reproduire, transmettant ainsi ce trait favorable aux générations suivantes. Au fil du temps, différentes combinaisons de modifications favorables s’accumulent lentement, scindant une population initiale en différentes espèces distinctes.

L’apparition de nouvelles façons de penser et de communiquer, entre 70.000 et 30.000 ans avant notre ère, constitue la Révolution cognitive. Selon la théorie la plus répandue, des mutations génétiques accidentelles changèrent le câblage interne du cerveau des Sapiens, leur permettant de penser de façon sans précédent et de communiquer en employant des langages d’une toute nouvelle espèce.

Quelle est donc la singularité de notre langage ? La réponse la plus courante est qu’il est d’une étonnante souplesse. Nous pouvons associer un nombre limité de sons et de signes pour produire un nombre infini de phrases, chaque fois avec un sens distinct. Ainsi pouvons-nous assimiler, stocker et communiquer une prodigieuse quantité d’informations sur le monde qui nous entoure. Notre langage a évolué comme une manière de bavarder. Suivant cette théorie, l’homo sapiens est essentiellement un animal social. La coopération sociale est la clé de notre survie et de notre reproduction. Mais la caractéristique véritablement unique de notre langage, c’est la capacité de transmettre des informations non pas sur le réel, sur des hommes ou des lions, mais sur des choses qui n’existent pas. Pour autant que nous le sachions, seuls les Sapiens peuvent parler de toutes sortes d’entités qu’ils n’ont jamais vues, touchées ou senties. Légendes, mythes, dieux et religions – tous sont apparus avec la Révolution cognitive.

Par exemple puisque nous avons parlé de la flèche du temps, l’homme s’est créé deux mythes qui lui ont été extrêmement utiles au cours des âges : L’éternité et la mort. La Science connaît une attirance pour l’éternité.  Le charme d’une démonstration mathématique est de résister au temps, et l’attrait d’une loi de la nature se trouve dans son caractère essentiellement intemporel. D’un autre côté,

l’Homme est le seul être qui sache que la mort existe. Tous les autres vieillissent, mais leur conscience est entièrement limitée à l’instant présent, qui doit leur paraître éternel, et cette connaissance instille « une peur de la mort qui est essentiellement un attribut humain ». Le philosophe Spengler (dans « le Déclin de l’occident ») en concluait que « toute religion, toute recherche scientifique, toute philosophie procède de cette peur ». Si les mythes universels comme l’éternité et la mort ont forgé la conscience de l’homme, l’histoire et la géographie ont regroupé des groupes d’hommes en peuples distincts adhérents aux mêmes croyances.

 Le peuple juif par exemple s’est bâti un narratif, très probablement à partir d’une certaine réalité historique, d’un peuple d’esclaves, sortis miraculeusement d’Egypte par l’intervention de Dieu qui se dévoile à tout son peuple et lui révèle sa Thora, code de philosophie et de morale, mais surtout code de prescriptions pratiques, les mitzvot, qui règlent le quotidien des juifs dans les moindres détails jusqu’à aujourd’hui.  Car les croyances pour perdurer et se transmettre, ont besoin de s’illustrer par des actes. Si on croit aux valeurs de la convivialité ou de la politesse, on se doit de les exprimer par des repas en commun, des poignées de main,  des tchin-tchin, des souhaits…, autant de rites qui permettent la concrétisation de nos croyances en leur expression matérielle.

 

Mais alors qu’est ce qui fait que l’on CROIT en ces légendes, mythes, dieux et religions qui ne font pas partie du réel concret ?

Qu’est-ce que LA CROYANCE ?

On a tort de penser en termes binaires  que « croire ou ne pas croire telle est la question ! ». On peut croire en Dieu et croire en la mécanique quantique mais pas de la même façon ! Croire est en fait accorder un degré de confiance en une chose, c’est évaluer si ce qu’on pense est probable. La mécanique quantique comme l’existence de Dieu ne sont pas des vérités absolues démontrables. Mais si, selon le critère de Popper, la mécanique quantique, comme toute théorie scientifique, peut être réfutée et remplacée par une théorie plus globale, l’hypothèse de l’existence de Dieu qui n’est pas une théorie scientifique, ne pourra elle, jamais être réfutée. 

La révolution cognitive a façonné nos cerveaux en nous dotant de croyances. Mais le but de l’évolution n’est pas que ces croyances soient en accord avec la REALITE mais qu’elles favorisent nos chances de SURVIE. La réalité est trop complexe, nos cerveaux préfèrent une compréhension rudimentaire mais efficace en terme de survie, à des développements scientifiques plus proches de la réalité, mais quasi inaccessibles. D’où la prolifération de multiples croyances simplistes mais qui auront été efficaces au moins à un moment donné.  

Le réel concret objectif ne prend pas en compte les EMOTIONS. Or nos cerveaux ont intégré l’EMOTION comme  adaptation aux instincts de survie. Il fallait reconnaître en un coup d’œil l’agressivité, la peur ou l’empathie dans le visage de l’autre. Ces émotions, propres à chaque personne, ont contribué à la différenciation psychique des individus marquant la subjectivité de chacun.  Dès lors que l’Homo sapiens est entré dans la communication sociale pour dominer les autres espèces vivantes, il s’est trouvé influencé par ses condisciples, par sa hiérarchie, par l’histoire du groupe.

La croyance c’est de l’analyse rationnelle jointe à des réponses émotionnelles, mêlée à une intuition subjective, et soumise aux influences sociales de l’autorité, de la communauté et de la tradition.

Si je veux parler aujourd’hui de MA croyance je me vois contraint d’examiner en tant que juif  la croyance en DIEU et en sa Torah, à la lumière de ma formation de scientifique.

Prenons l’exemple classique de la confrontation big-bang versus récit de la genèse.

Alors que l’historiographie de la Torah indique une création du monde par Dieu il y a un peu moins de 6000 ans, la Science conclut quant à elle, depuis quelques décennies maintenant, que notre Univers est né à l’instant du big bang, gigantesque « explosion » primordiale intervenue à un instant situé quelque part à 13.5 milliards d’années avant notre époque. 

La Science moderne est une science vide de Dieu, dans le sens où la divinité est devenue, selon l’expression de Laplace passée à la postérité, une «hypothèse inutile». Mais si la Science semble évacuer d’emblée le concept de Dieu, ce n’est pas tant qu’elle le nie, mais bien plutôt qu’elle le place d’entrée de jeu en-dehors de son champ d’intérêt. En d’autres termes, la Science moderne n’a pas pour ambition (comme encore au Moyen-Age) d’expliquer le pourquoi des choses, c’est-à-dire leur raison ; elle se contente d’expliquer le comment des choses, c’est-à-dire leur fonction.  La science moderne décrit l’univers comme un gigantesque mécanisme qui fonctionne seul, sans qu’il y ait besoin de la divinité pour le faire tourner. En conséquence, la question de savoir « ce qui a causé le big bang » ne saurait avoir aucune réponse scientifique sérieuse ; libre à chacun de répondre « Dieu », « le Multivers », ou « la Grande Tortue Céleste » - la pertinence de ces réponses ne pouvant aucunement être évaluée par un test répondant aux critères de la Science, elles ne sont dès lors ni « vraies » ni « fausses » au sens de la Science moderne, mais simplement l’expression d’une croyance.  La Science, de par les limites qu’elle s’impose à elle-même, ne traite donc d’aucune problématique religieuse ou morale.

Cette nouvelle image de l’Univers est le point de départ de l’un des processus les plus intéressants de la pensée juive moderne, qui tend à parler de Dieu, non comme l’entité qui permet d’expliquer le monde et son fonctionnement, mais comme la source de la Loi. Dans ce cadre, l’accent est donc moins mis sur le Dieu Créateur que sur le Dieu Législateur, lequel est source des valeurs de commandements, et de morale. C’est la démarche qui sous-tend notamment les positions de Yeshayahu Leibovitz ou du rav Soloveitchik.

Donc a priori il n’y a pas d’antagonisme ! La Science et la foi juive s’occupent chacune de son domaine propre, la science ne se proposant pas  d’expliquer le pourquoi du monde, la foi juive en ne considérant pas le récit de la création comme une cosmogonie mais comme un message religieux et moral.

Cette thèse « séparatiste » sépare complètement les domaines de la science et de la croyance, mais elle m’oblige à changer de casquette à longueur de journée selon que je prie ou que je triture mes équations. Et comme je ne suis pas une hydre à deux têtes, je constate tous les jours combien les méthodes et les connaissances scientifiques et talmudiques s’enrichissent mutuellement. Par exemple les principes contre intuitifs de la mécanique quantique peuvent aider à repenser quelques paradoxes de la pensée juive, et l’étude de l’herméneutique talmudique et du décryptage des textes révélés, est une méthode qui peut se révéler bien utile en science. La thèse « concordiste » elle, s’émerveille de la concordance entre la science et la torah même sur ce conflit fondamental au sujet de la création du monde. Le conflit est perçu ici comme illusoire. Les tenants de cette approche cherchent à lire le texte de la genèse dans une tentative de transcender la littéralité de ses propos. Pour ceux qui savent dépasser les limites apparentes du texte, la réconciliation entre les deux rivales (Torah et Science) semble loin d’être impossible. Pour réconcilier les dates, on peut concevoir la création d’un monde déjà vieux, ou la préexistence de mondes engloutis, ou interpréter les 6 jours de la création comme 6 périodes géologiques. On peut aussi recourir à la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein qui affirme que l’écoulement du temps n’est pas purement linéaire, comme on le croyait jusqu’alors, mais qu’il varie en fonction de différents paramètres comme la gravité (le temps s’écoule moins vite sur certains objets célestes très denses que sur la Terre) ou la vitesse (le temps s’écoule moins vite sur les objets voyageant à une fraction significative de la vitesse de la lumière). Quid du temps au moment du big-bang alors que la densité de matière était astronomiquement élevée ? Dès lors, rien ne s’oppose à ce que 13.8 milliards de nos années terrestres, c’est-à-dire grosso modo l’âge mesurable de l’Univers, soient équivalentes à 6 jours de 24 heures dans un autre référentiel… De plus la concordance peut éclater par une relecture de certains passages de la genèse à la lumière des découvertes scientifiques modernes. Par exemple, quand au premier jour de la Création, Dieu déclare « Que la lumière soit ! », l’ordre divin ferait référence au phénomène physique connu sous le nom du  « découplement », c’est-à-dire au moment où la lumière s’affranchit pour la première fois du plasma primordial résultant du big bang…  ou au 5eme jour de la Création, la formation des animaux est identifiée comme étant l’âge terrestre appelé le « Cambrien », une période décrite par la Science comme ayant été le théâtre d’une véritable explosion de nouvelles formes de vie…  En fait Science et Torah complémentaires ne veut pas dire parallèles ! La réconciliation à mon avis n’est que très superficielle. Un examen plus attentif du récit de la Torah révèle que les événements des 6 premiers jours ne sauraient en aucun cas correspondre à l’image scientifique de l’évolution de l’Univers.

 

Alors dans quelle mesure science et croyance peuvent elles être  complémentaires ? La science peut-elle s’accommoder de la croyance ? Les media véhiculent souvent  l’idée simpliste, de beaucoup de scientifiques, (mais pas de tous, pour être juste) de politiciens et de capitaines d'industrie, selon laquelle la science comprend tout (c'est-à-dire qu'elle est omnisciente, ou le sera bientôt) et que ses hautes technologies peuvent nous sortir de n'importe quel trou dans lequel nous pouvons nous enfoncer (c'est-à-dire qu'elle est omnipotente). L’omniscience et l’omnipotence étant les attributs ontologiques de Dieu, nous vivons une époque où pour beaucoup la science a remplacé Dieu. On donne à des scientifiques le pouvoir de se prononcer sur des questions morales ou éthiques qui sont hors de leur domaine de compétence. Le niveau de connaissance des populations en matière scientifique étant en moyenne quasi nul, n’importe quel docteur es science devient le grand prêtre de cette nouvelle religion. C’est ainsi que la science empiète sur le domaine de la croyance.

Le vrai Scientifique devrait être modeste, rester dans son champ de compétence et être constamment sous le contrôle de ses pairs.  Cela ne l’empêcherait pas par ailleurs de s’exprimer comme il l’entend sur ses croyances pourvu qu’il ne le fasse pas au nom de la science !

Il est cependant un pont possible entre science et croyance, c’est ce que l’on appelle le principe anthropique (du grec "anthropos" pour "être humain"), ou l’ajustement fin des constantes physiques de l’univers. Il s’agit de l’étonnante précision des constantes physiques de la nature et de l’état premier de l’Univers. Pour expliquer l’état présent de l’univers, même la meilleure théorie scientifique suppose que les constantes physiques de la nature (comme la constante de gravitation) et de l’état premier de l’Univers (comme sa densité)  aient des valeurs extrêmement précises. Par exemple il est prouvé que seul le rapport précis entre la puissance  de l’interaction nucléaire forte et de l’interaction électromagnétique a pu permettre la production du carbone, l’élément sur lequel toute vie connue est basée. De même la moindre augmentation de la masse du proton par exemple aurait rendu impossible toute création d’élément chimique. La plus petite variation des valeurs actuelles de l’une des constantes physiques fondamentales indépendantes serait dévastatrice pour la vie. En fait l’univers semble finement ajusté pour l’être humain. Les conséquences de ce principe scientifique peuvent être vues comme indicateurs potentiels d’un créateur. Certains avancent souvent que la théorie de l’inflation (lors des premières étapes de l’évolution cosmologique, l’univers aurait traversé une période d’expansion exponentielle) donne une explication adéquate pour une telle précision de quelques constantes comme la densité critique de l’univers. Mais la théorie de l’inflation fait encore débat et le problème de l’ajustement fin de toutes les constantes demeure.  Les scientifiques se divisent en adeptes de deux variantes du principe anthropique: le faible et le fort.

Le principe anthropique faible considère que, par chance, l'Univers possède des caractéristiques ayant permis l'apparition de la vie et des hommes. Mais si les caractéristiques de notre Univers avaient été différentes, nous n'aurions pas remarqué notre malchance car... nous n'existerions pas. Autrement dit, nous ne pouvons vivre que dans un univers "bien ajusté" et dans le cas contraire, nous ne serions pas là pour le remarquer... Peut-être existe-t-il des univers "mal ajustés" en parallèle du nôtre, et dans lesquels, par définition, nous n'existons pas. Pour répondre à cette ligne d’argumentation, le philosophe canadien John Leslie propose une analogie dans laquelle quelqu’un survit à une exécution par fusillade sans aucune blessure. L’argument du principe anthropique faible, selon Leslie, est analogue à l’argument : “Bien sûr que tous les tirs ont raté, sinon je ne serais pas là pour remarquer que je suis en vie !” Une approche bien plus logique serait de chercher une explication : pourquoi un événement si improbable a-t-il eu lieu ? Une bonne explication scientifique satisfait la curiosité, alors que ce type d’explication ne fait rien pour offrir une solution. Le principe anthropique fort possède une forte connotation religieuse puisqu'il considère, quant à lui, que l'Univers doit posséder les caractéristiques nécessaires à l'apparition de la vie... Peut-être d'autres valeurs pour les constantes fondamentales de la physique permettent-elles l'apparition d'une vie, même totalement différente de la nôtre ? Peut-être ces valeurs existent elles dans d'autres Univers parallèles au sein d'un hypothétique "multivers" ? Mais n’est-on pas là dans la science-fiction ?

 

On a vu que la science pouvait peut-être s’accommoder de la croyance, et les doctrines religieuses peuvent-elles s’harmoniser avec la science ?

Les doctrines religieuses pour être crédibles à l’homme moderne doivent rester compatibles avec le réel scientifique.   Le seul credo du judaïsme a été exprimé par le grand Maimonide dans ses fameux « 13 articles de foi », et il n’y a rien là qui puisse être infirmé par la science. Le judaïsme ne nous demande pas de croire que le monde a vraiment 6000 ans ni que la terre est plate, mais la pensée juive s’intéresse aux attributs de Dieu, à ses relations avec l’homme par l’intermédiaire de la torah et des prophètes, ce qui est strictement du domaine de la foi et non de la science.

Seulement le narratif de la torah et encore plus du Talmud  peut avoir un langage qui fasse sourire un scientifique d’aujourd’hui quand ils nous décrivent, parfois avec force détails, l’histoire du peuple d’Israël, l’évolution de leur pensées à travers les âges et les règles précises de leur vie quotidienne. Mais la torah parle le langage de son temps ! Voudrions-nous qu’elle nous décrive la création du monde en termes de quarks, de bosons, de fermions ou de leptons ? De tout temps la torah a été fouillée, analysée, réinterprétée de soixante-dix façons différentes par des centaines de brillants commentateurs, encore étudiés aujourd’hui,   qui ont essayé de la mettre à la portée du public de leur époque, de montrer comment elle pouvait féconder les tendances philosophiques du moment…

Le défi de la révolution industrielle et technologique a malheureusement conduit à un schisme dans le judaïsme entre une tendance libérale remettant en question une pratique et un thesaurus de pensée vieux de deux millénaires afin de les adapter au monde moderne, et entre une tendance orthodoxe ultra-conservatrice, qui voit le monde scientifique moderne comme une menace et cherche à s’en isoler, se recroquevillant dans les quatre coudées de la loi religieuse traditionnelle jusqu’à conserver les stigmates vestimentaires de l’ère préindustrielle. Mais en même temps a éclos un judaïsme orthodoxe moderne. Ce sont des juifs orthodoxes qui aspirent à une insertion aussi complète que possible dans la société moderne, tout en restant dans le cadre de la loi religieuse stricte. Plusieurs grandes personnalités ont initié ce mouvement :

 Le rabbin Samson Raphael Hirsch (1808-1888), pensait qu’il était possible de s’impliquer dans des domaines non religieux en leur appliquant la philosophie « Torah im Derech Eretz »  de la Torah intégrée à la vie courante, la sacralisant ainsi.

Le rabbin Azriel Hildesheimer (1820-1899), croyait à l’harmonie possible entre judaïsme et science, il créa des Yechivot, établissements de haut enseignement religieux, incorporant dans leur programme des connaissances académiques et scientifiques non religieuses.

Le rabbin Joseph B. Soloveitchik (1903-1993), directeur académique de l'université Yeshiva, fondateur de la philosophie Torah Umadda  (Torah et Science), promeut une synthèse personnelle entre science, démocratie et judaïsme orthodoxe.

Le rabbin Abraham Isaac Kook (1864 – 1935), fonda le sionisme orthodoxe et moderne.

Cette mouvance se développe à l’heure actuelle surtout en Israël et aux états Unis. Elle fait une place de choix à une réinterprétation et une actualisation d’une portée universelle du message de la thora afin de donner du sens, accessible aujourd’hui, aux récits religieux, symboliques, moraux, poétiques et didactiques.

Le judaïsme orthodoxe moderne réconcilie une certaine  réalité scientifique vécue par l’homme moderne, avec une dimension spirituelle, éthique et religieuse qu’au cours des temps l’homme s’est vu contraint de se construire pour survivre. Mais aujourd’hui, d’aucuns vous diront qu’ils peuvent être parfaitement satisfaits d’une vie moderne intégrant des valeurs mondialistes globales et débarrassée des mythes, superstitions et croyances archaïques. Ils ont peut-être raison !.. 

 

Pour moi, on peut certainement retirer des bienfaits supplémentaires en  intégrant une bonne part de dimension religieuse dans nos vies et celles de nos descendants.

C’est d’abord une joie et un réconfort que de croire que nos vies font partie d’un grand dessein. On naît seul et on meurt seul ! On voit nos parents ou nos proches mourir, et on se pose la question du sens de la vie. A l’échelle individuelle il est souvent difficile d’avoir une réponse pertinente à la question «Pourquoi suis-je né ?  À quoi va servir ma vie pour l’humanité ? ». Dans les mouvements chaotiques de chacune des gouttes d’eau qui composent un fleuve, il est mal aisé de reconnaître le sens du courant.  La dimension religieuse nous fait changer de perspective, nous offre un sens de l’histoire, nous inscrit dans la continuité de nos parents et de nos aïeux qui avaient les mêmes croyances, nous inscrit, pauvres individus, dans un grand dessein qui nous dépasse.  Ce dessein existe-t-il vraiment ? Nul ne peut démontrer que non, alors il faut peut-être prendre ce nouveau pari de Pascal de croire en ce dessein, car d’un côté on échappe à la solitude et au non-sens de notre sort individuel et de l’autre on y gagne la joie et le réconfort de participer à faire avancer cette histoire.

D’autre part, Les récits religieux sont une part essentielle du patrimoine de l’humanité. Ils constituent une archive émouvante du passé,  clé de compréhension de nos us, coutumes, folklore et culture d’aujourd’hui. Ils ne décrivent pas seulement les relations de l’homme à Dieu, mais traitent de tous les aspects essentiels de la condition humaine et de leur évolution.  L’homme moderne qui les raille et qui les méprise se coupe de ses racines.

Il est bon aussi de revenir aux sources.  Combien de théories et de principes philosophiques, économiques, psychologiques, sociologiques et même scientifiques, que l’on croit très modernes sont-ils exprimés parfois explicitement dans ces textes vieux de milliers d’années !  J’en fais l’expérience dans mon étude quotidienne du Talmud et cela me procure une vraie joie intellectuelle. On oublie souvent que le savoir et les connaissances humaines sont cumulatives et que les penseurs d’aujourd’hui ne sont que des nains assis sur les épaules de géants.

Et le sacré qu’en pensez-vous ? Le sacré, le Kodech en hébreu est ce qui est séparé. Il ne fait pas à priori partie intégrante de notre vécu quotidien mais c’est à nous de mettre de côté ce que l’on juge précieux pour construire un petit temple en nos cœurs. C’est MA relation personnelle avec le Très Haut où même la halacha, la loi juive, ne contrôle pas mes pensées. Seulement pour entrer dans ce petit temple sacré il faut des clés. Ce sont des objets que l’on a sanctifiés, mis à part que pour cet usage. Je veux parler par exemple, des tefillins (phylactères) pour entrer dans le monde de la prière, des bougies pour rentrer dans le royaume du shabbat, de la corne du shofar ou des quatre espèces végétales pour convoquer l’avènement des fêtes.  Ajouter  une dimension sacrée à notre interaction avec le monde, c’est gratifiant, et rehausse l’expérience quotidienne.

Maintenant sur un plan plus pratique, appartenir à une communauté religieuse est un avantage social incontestable. La communauté s’articule autour d’un leader, rabbin instruit, souvent charismatique, qui sert de référence à nos questionnements et prodigue ses conseils avec l’expérience d’années au service de cette population.  Outre un espace de dialogue, d’échanges, de convivialité, la communauté renforce ses membres par sa solidarité et  leur apporte un total soutien en cas de besoin.

Et pour donner de la couleur au temps, il est bon de se soumettre à des rituels religieux qui organisent notre journée : « C’est l’heure de la prière de minh’a avant le coucher du soleil ! », notre semaine : « Que va-t-on manger shabbat ? », notre année : « Quand va tomber Kippour ? ». Ils rythment les moments phares de notre vie : brit mila à la naissance, h’oupa au mariage, shiva au décès.. Aussi précieux que la lune et le soleil, immuables, ils ont réglé notre calendrier depuis des millénaires.

Enfin l’étude de la torah au-dessus de tout, est ce qui a fait la spécificité des juifs à travers les époques. Les méthodes d’étude, si performantes que les coréens les enseignent aujourd’hui dans leurs universités, la confrontation à la philosophie pour tous et à tout âge, les innombrables domaines abordés par cette étude, sont des richesses intellectuelles qui  donnent sens et valeur à notre existence.

 

Alors pour en revenir à Science et Croyance, je dirais qu’il est extrêmement important que la science cultive une approche rationnelle, objective, et même impersonnelle du monde. Mais la réalité complète prend en considération nos mondes intérieurs. Comme le dit William James « Notre expérience intérieure est en fait notre seule et unique expérience. » 

La question religieuse n’a pas besoin des aspects démontrables du monde extérieur objectif, mais se situe à l’intérieur de nous-mêmes. Notre univers intérieur c’est en fait de la terreur, de la beauté, de la douceur, du sublime, du bien, du mal, de la fascination, de l’émerveillement, de la gratitude, de l’étude et de la prière. Nulle trace de ces concepts ne se trouve dans nos particules.

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

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